Russell BANKS




Principaux titres:


1996The Book of Jamaica Un rai de lumière en provenance des Caraibes...
1998Cloudsplitter Plutôt long, apropos de la lutte contre l'esclavage. Assez loin du style habituel de Banks.
1994Continental Drift Sombre, mais dynamique. Plutôt moins désespéré que le reste de son oeuvre.
1996Family Life Une nouvelle très grincante sur l'image du pouvoir.
1996Hamilton Stark OEuvre de jeunesse publiée sur le tard, on y retrouve tous les thèmes d'Affliction
1996Rule of the Bone Le trait d'union entre Continental Drift et The Book of Jamaica. Là aussi, l'espoir se trouve au Sud.
1996Success Stories Histoires de paumés...
1992The Sweet Herafter Si Banks peint surtout les classes les plus défavorisées, sa peinture de classes plus aisées n'est pas plus riante.
1996Trailerpark Recueil de nouvelles du même type que Success Stories
1996Affliction Que pourrais-je dire de mieux que le titre?
19??Searching for survivors [Epuisé en France]
Note: Les dates de publication concernent dans la plupart des cas les traductions francaises, et ont assez peu à voir avec les dates de publication originales. Autant que possible, j'ai tenté de restituer l'ordre de publication aux Etats-Unis dans cette liste, tâche rendue difficile par le fait que j'ai lu la moitié de ces titres en anglais, et l'autre moitié en francais.



Russel Banks est la grande révélation de la fin du XXe siècle pour les milieux intellectuels de la côte Est américaine, mais à peu près inconnu en Europe, malgré les deux films qui ont été tirés de ses oeuvres (Sweet Hereafter et Affliction, qui ont tous deux eu des prix en Europe).

Les visages de Russell Banks sont sombres, marqués par les hivers rudes et les étés courts des Adirondacks, et la lutte pour déchiffrer les énigmes que posent la société moderne, sous peine d'exclusion. Histoires de désespérance, de rejet teintées d'un mal indéfinissable mais qui réduit à néant toute tentative de diriger son destin. De fait, on n'arrive guère à décrire de manière plus noire l'Amérique profonde, celle du Nord-Est, coincée entre la côte et les Grands Lacs, grimpée sur les Adirondacks. Des petites villes provinciales, à deux pas de la grande, la Big Apple, urbanisation de fraiche date dans un monde qui garde sa mentalité agricole du XIXe. Les armes (de chasse) et la voiture (le terme approprié serait la bagnole) y sont les deux axes selons lesquels on doit vivre, qui règlent la vie et font le niveau social d'un homme. Difficile pour les habitants du coin de se comparer sur ce plan-la aux riches avocats ou médecins New-Yorkais qui viennent à la Saison (celle de la chasse, évidemment) tuer "leur daim", quand l'economie locale survit de petits boulots, d'une maigre agriculture de sols froids, et de l'argent de ces touristes de la chasse, autrefois celui des trappeurs. D'autant plus que tout espoir de sortir de ce milieu, de cette région, est handicapé par un lourd héritage de violence, d'alcoolisme, un système scolaire définitivement tiers-mondiste, et le sur-endettement inévitable pour se procurer les symboles du capitalisme permettant de s'affirmer.

Son personnage le plus révélateur est sans doute Hamilton Stark. Roman de jeunesse, il est moins achevé que les autres, mais pour cela permet peut-être mieux de lire la psychologie de Banks, issue de sa propre expérience familiale. Hamilton Stark est né dans les Adirondacks (le decor familier de Banks), d'un père alcoolique et violent, vivant au jour le jour de son métier de plombier, et d'une mère désespérée, ne trouvant sa raison de vivre que dans la souffrance. Il reproduit l'image parentale dans sa vie de couple, succession de tentatives avortées de retrouver un amour maternel inconnu, courtes lunes de miel, violences et divorces répétés. Apres la disparition du père un soir de beuverie, la recherche de soufrance de la mère, dont elle fait la justification de son existence, pousse Hamilton Stark à la chasser de la maison familiale. La notion de faillite, et d'enfermement dans un réseau de contraintes sur lesquelles il n'a aucune prise, la réprobation sociale pour l'éviction de la mère, entretenue par une de ses ex-femmes, le poussent à tuer celle-ci, non pour la faire taire mais la punir de sa vengeance aveugle. Il renait symboliquement, en s'enfuyant vers le Canada et ses étendues désertiques, à l'abris de tout lien social. Banks nous livre ici une introspection dans l'image de son père, alcoolique et violent, mort de froid, un soir d'hiver et de beuverie.

Dans ce récit, les hommes sont l'image de la virilité, physiquement forts, mais désarmés devant les circuits modernes, administratifs et financiers, du pouvoir. La peur d'un monde sur lequel ils n'ont pas prise se transforme en violence, héritage d'une lignée de pionniers dont ils ont conservé le caractère, l'esprit de frontière. La femme est maternelle, essentiellement impure et faillible, elle expie à jamais le péché d'Eve. Tous deux sont intensément marqués par la notion presbyterienne de culpabilité, de souillure et d'impureté de l'être humain, pour lesquelles il leur faudra souffrir en ce monde, selon un mode immuable décidé d'avance par la Providence. Se rebeller contre son destin est inutile, seul un détachement impossible à atteindre dans ce monde de violence, à moins d'un isolement affectivement douloureux, peut amener la rédemption.

L'espoir ne nait dans l'oeuvre de Banks que quand il parle du Sud, de la Jamaique en particulier, un autre des lieux fétiches de Banks, ou malgré la violence toujours aussi présente, mais devenue ici une vraie lutte pour la survie, le ressort moral des gens n'est pas brisé. Cet esprit de survie, sans la contrainte morale de la religion, est un réel facteur de progression sociale et intellectuel.